De bons virus pour soigner certains cancers
Le virus de la rougeole présenterait de nombreux avantages pour traiter certains cancers. Explications deFrédéric Tangy, chef de l'unité de génomique virale et vaccination, à l'Institut Pasteur.
Qu'est-ce que la virothérapie anticancer ?
C'est une stratégie thérapeutique qui vise à utiliser certains virus modifiés génétiquement, comme les virus de la rougeole, de l'herpès, de la vaccine (variole atténué), ou l'adénovirus (rhume), pour détruire les tumeurs cancéreuses. La virothérapie anticancéreuse remonte aux années 1950. A l'Institut Pasteur, nous travaillons sur le virus vaccinal de la rougeole depuis plusieurs années. Nous l’avons choisi car c'est un vaccin ancien, connu, très sûr et efficace, qui protège l'ensemble de la population pour la vie sans effet adverse. De plus, nous avons montré que, même chez les sujets déjà immunisés contre la rougeole, le traitement peut fonctionner.
En quoi consistent vos travaux ?
Nous travaillons plus particulièrement sur le mésothéliome pleural malin, le cancer de l’amiante. Les cellules tumorales expriment en général une grande quantité de la protéine CD46, un récepteur peu présent sur les cellules saines. Ce récepteur les protège des actions toxiques du système immunitaire. Or CD46 avait été identifié comme l’une des portes d’entrée du virus atténué du vaccin de la rougeole dans les cellules. Nous nous sommes aperçus que le virus de la rougeole, au contact des cellules tumorales, exerce une activité oncolytique efficace, tuant directement la majorité des cellules tumorales, alors qu’il reste inoffensif pour les cellules non tumorales.
Ce virus atténué se fixe sur le récepteur CD46, entre dans la cellule tumorale, et sa réplication entraîne la mort cellulaire par apoptose (autodestruction), ainsi que l’émission de signaux de danger. En déclenchant l’émission de ces signaux, que les cellules tumorales parviennent habituellement à bloquer pour échapper à la traque du système immunitaire, le virus provoque une forte réponse immunitaire. Le système immunitaire, ainsi réactivé, est alors capable de reconnaître et détruire spécifiquement les cellules tumorales encore dispersées dans le corps.
Peut-on espérer des résultats prochains en France ?
Nous espérons d'ici à 2 ans initier les premiers essais cliniques pour tester l’efficacité du traitement chez des patients atteints de mésothéliome, un cancer terrible à très courte survie, sur lequel les traitements courants sont assez peu efficaces. Nous travaillons aussi sur d’autres cancers comme le mélanome ou le cancer du poumon. Nous croyons vraiment à cette stratégie. De plus, le virus atténué de la rougeole entraîne très peu d'effets secondaires et le traitement est indolore, une situation tout à fait différente des lourds traitements de chimiothérapie.
C’est un «traitement écologique du cancer», car c'est un virus peu cher, qui se cultive, se récolte, se purifie, et s'injecte. C'est un vaccin pédiatrique qui ne fait pas peur. On ne pourra malheureusement pas traiter tous les cancers et cette stratégie ne fonctionnera pas sur tous les patients. Des chercheurs américains l'ont testé avec succès sur une patiente atteinte d'un myélome multiple, et d'autres essais plutôt concluants ont été réalisés sur des patients atteints de plusieurs autres types de cancers. Cette stratégie représente un formidable espoir pour les malades. Cerise sur le gâteau : avec ce virus, le patient développerait une réponse antitumorale susceptible d’éviter la récidive.